« Lorsque je suis sorti du ventre de ma mère, je chantais déjà. » – Steeve Michaud

Il aurait suffi de peu pour que la Maison Hupé s’effondre, non pas sous les coups de pelle excavatrice, comme ce fut le cas en juillet dernier, mais sous le retentissement de sa voix puissante qu’il a l’habitude de projeter dans les plus grandes salles du Canada et du monde. C’était à l’occasion de l’ouverture, il y a quelques années, d’une foire de Noël organisée par le regroupement d’artistes et d’artisans de Cantley appelé Art de l’Ordinaire. Il avait entonné pour l’occasion le Minuit chrétien et c’est comme si le plancher, les murs, le plafond avaient tremblé jusqu’à la charpente lorsqu’il avait soutenu, sans aucun mal, l’aigu fatidique qu’avaient craint tant de chantres du dimanche, du haut du jubé, à la messe de minuit.

 

Cheveux bien mis, yeux expressifs, barbe fraîchement taillée, tenue impeccable, d’un abord facile, Steeve Michaud a le charme d’un jeune premier et le charisme de l’artiste habitué à tenir en haleine des milliers de spectateurs. Pour les néophytes, il est chanteur classique ou chanteur d’opéra; pour les mélomanes, il est artiste lyrique ténor lirico-spinto. Pourquoi chanteur d’opéra? « Pourquoi pas? », répond-t-il du tac au tac. « Lorsque je suis sorti du ventre  de ma mère, je chantais déjà », raconte-t-il à la blague.

 

Steeve Michaud jouait du piano et de l’orgue lorsqu’il a fait son entrée au collège en musique, mais peu après son admission, un coup de foudre l’a fait dévier de sa trajectoire. L’Opéra de Montréal offrait des billets aux étudiants en musique et c’est lors de l’une de ces représentations qu’il est tombé amoureux : « J’ai aimé tout ce que l’opéra englobait : la puissance, l’orchestre symphonique, les couleurs, le côté théâtral, les chanteurs à la voix démesurée pour mes oreilles à l’époque, sans soutien technique, sans amplification. Je me suis mis à faire de la recherche sur ce monde plus grand que nature et j’ai découvert que c’était un métier qui obligeait à voyager, à s’immerger dans d’autres cultures. J’étais conquis. »

Depuis ce coup de cœur, Steeve a consacré sa vie au chant classique. Quand on le croise, il revient toujours de quelque part et se prépare à partir pour ailleurs. Même entre deux créations et trois ou quatre autres projets d’autoproduction, il ne s’arrête jamais. L’entraînement nécessaire pour réussir sur scène se compare à celui de l’athlète; on ne peut jamais s’arrêter de créer et de se renouveler. Derrière cette réinvention perpétuelle se cache un immense travail, comme le soutient Steeve Michaud : « On est toujours en train de réinventer le bouton à quatre trous ».

À la pression constante qu’exerce la nécessité de construire une œuvre, un personnage, et d’entraîner sa voix s’ajoute l’instabilité propre au métier de chanteur. Comme tout travailleur autonome, Steeve doit gérer sa carrière : « Tu es toujours dans un état de séduction, toujours en train d’essayer de plaire pour être engagé. Et il y a énormément d’ego. D’ailleurs, il faut un ego très fort pour chanter sans aucun autre support que deux cordes vocales, déguisé sur une scène qui fait quelque 90 pieds de façade avec un plafond de 60 pieds, lorsqu’il y a 3 000 spectateurs devant soi et 90 musiciens et qu’il faut projeter sa voix au-dessus d’eux. Sans compter qu’il n’y a pas seulement des passionnés d’opéra et des mélomanes heureux d’être là le soir de la première, il y a aussi des critiques qui influencent parfois les décideurs, des détracteurs, ceux qui voulaient le tenir le rôle que tu as obtenu… »

Plusieurs peuvent en témoigner : la grande qualité de Steeve Michaud, c’est justement sa capacité de garder cet ego sous surveillance lorsqu’il quitte la scène pour replonger dans le monde réel. Steeve a la modestie de celui qui sait qu’après le spectacle, le glamour, le show- business, il y a le quotidien, la vie ordinaire, sa femme et sa fille qu’il adore, la maison et la communauté, Cantley dont il est fier. « Justement parce que je baigne dans un monde un peu construit de toutes pièces,  confie-t-il, j’ai besoin de me raccrocher à des choses plus solides, plus stables. J’ai besoin d’avoir un noyau, de sentir qu’il y a quelque chose de plus vrai, de moins éphémère qu’un succès, des applaudissements et des fleurs. De même, je ne voudrais pas être une personne qui serait dans sa tour d’ivoire, déconnectée de la vie, car ce n’est tellement pas représentatif de la carrière, du moins pas de celle que je m’efforce de construire! »

C’est avec ce même souci de se rapprocher des gens que Steeve aborde l’art. Il importe pour lui de rester accessible. « La vulgarisation de l’art, explique-t-il, ce n’est pas se mettre à chanter en lançant des “hot dogs” ». Ce n’est pas faire du cirque, mais plutôt donner aux gens des clés, des outils pour comprendre et apprécier. On a de moins en moins la capacité de s’arrêter et d’imaginer. Moi, j’invite les gens à s’arrêter. Sans faire tout le travail à leur place, je les aide à comprendre un peu plus et je laisse leur imaginaire faire le reste. » Lors des spectacles qu’il présente dans la région, Steeve n’hésite pas à donner des explications, par exemple sur la signification des paroles en allemand ou en italien, voire à élargir son répertoire pour inclure de la chanson française.

Cette volonté de partager son art avec le public, le lien qui l’unit à sa communauté et sa gentillesse naturelle ne sont pas étrangers au succès de la campagne de socio-financement qu’il a lancée l’an dernier en vue de réaliser un disque. « À la fin des spectacles que je donne, on me demande souvent si j’ai produit un disque. Or, j’ai des démos, mais pas de disque. La campagne de socio-financement a permis à ce projet de voir le jour. »

Intitulé Portrait, le disque de Steeve Michaud sera lancé le 3 avril prochain à la salle Jean-Despréz. Ce disque permet à ceux qui veulent se familiariser avec le chant classique de découvrir non seulement un artiste de calibre international en pleine maîtrise de son art, mais un homme qui a la générosité et l’intelligence de communiquer sa passion au plus grand nombre. Le chant d’opéra? Pourquoi pas!

Chantal Turcotte